L’augmentation des rejets de CO2 atmosphérique, qui est capté ensuite par les océans, provoque une acidification. J’ai déjà parlé de certaines conséquences de cette acidification sur des organismes marins (voir Changement climatique et protection des environnements marins ). Or, ce phénomène pourrait bien avoir un effet plus pervers sur la survie d’organismes marins en perturbant leurs sens. C’est ce que pensent les auteurs d’une publication parue en février dernier (1). Ils ont observé les conséquences d’une exposition à une concentration de CO2 élevée (telle qu’envisagée pour la fin du siècle) sur la capacité de demoiselles (Pomacentrus amboinensis) à identifier un prédateur ou à sentir sa présence.
La demoiselle en question (Source : Wikipedia)
Pour cela, ils ont effectué 2 expériences :
- test au laboratoire de la capacité de reconnaissance par des demoiselles juvéniles de l’odeur d’un prédateur en conditions de concentration naturelle ou élevée de CO2.
- test in vivo de survie de juvéniles conditionnés à une concentration élevée en CO2. Des demoiselles juvéniles sont placées quelques jours en aquarium à une concentration élevée de CO2 puis déposées sur le récif. Ces juvéniles sont extrêmement sédentaires et donc leur suivi est facile.
Dans les deux expériences, la concentration élevée en CO2 altère la capacité d’apprentissage des juvéniles : ils réagissent moins à l’odeur des prédateurs que les juvéniles non conditionnés. La seconde expérience montre qu’en milieu naturel, cette altération est fatale, causant une augmentation de la mortalité par prédation de 2,5 à 3 fois.
Les auteurs sont allés plus loin en testant l’effet d’un antagoniste du GABA qui est un neurotransmetteur inhibiteur important du cerveau des vertébrés. Lorsque l’antagoniste est délivré, les juvéniles conditionnés à concentration élevée en CO2 récupèrent presque complètement leur capacité d’apprentissage et de réaction aux signaux de prédateurs.
Ce type d’expérience a conduit aux mêmes conclusions dans le cadre d’une étude portant sur la relation proie-prédateur entre des mollusques (le GABA est également présent dans leur système nerveux) (2).
Il faut noter que les prédateurs également soumis aux mêmes concentrations élevées en CO2 n’ont pas montré de variation de comportement.
Une conséquence perverse de l’acidification des océans pourrait donc être une perte de jugement des proies en présence de leurs prédateurs, conduisant à une mortalité accrue, ce qui pourrait modifier la structure de la biodiversité des écosystèmes marins.
(1) Chivers D. P. et al. Impaired learning of predators and lower prey survival under elevated CO2: a consequence of neurotransmitter interference. Glob. Chang. Biol. 2014