Les astrologues chinois ont manqué d’imagination, ou de connaissances. Parmi tous leurs signes zodiacaux, pas le moindre mollusque ! Pour eux, l’année du tigre (sorte de gros chat sournois, traître et hypocrite, comme les autres félidés) a laissé la place à celle du lapin (lagomorphe pelucheux à la réputation sulfureuse : ça ne va pas améliorer la démographie chinoise…). Jaguar aztèque, lapin asiatique ou baobab africain, chaque peuplade de chaque coin du monde a ses croyances. Alors pourquoi pas les plongeurs du Roussillon ?
Là-bas aussi des choses changent selon des cycles mystérieux. Il y a eu le cycle des doris géants, celui des Mola mola et même celui de la visi sur épave (en général quand je ne suis pas là). Y a t-il eu un cycle des tylodines jaunes ?
La tylodine jaune est une pov’bête à qui a été imposé un nom provoquant un risque de mauvaise interprétation chez tout piètre latiniste : Tylodina perversa. Qu’a t-elle donc de pervers ? Rien. Ça serait simplement une tentative de caractérisation d’un phénomène lors du développement de sa première coquille. Car selon les grandes « familles » de mollusques, la coquille se développe en tournant vers la droite ou vers la gauche. Chez la tylodine, c’est dans le mauvais sens, selon l’auteur du nom. Je pense qu’il n’était pas gaucher.
J’avais déjà brièvement présenté cet animal dans l’article Nudibranches ? (4) . Bien que n’étant pas un nudibranche, je l’avais associé à cette liste en tant que petit mollusque habitué à ramper sur son plateau-repas, comme les éolidiens ou les doridiens. Et puis après tout, c’est un très proche parent, car s’il n’a pas les branchies « à nu », elles sont néanmoins « à l’arrière du cœur ». Voilà comment on évite de dire que les Nudibranchia forment comme les Notaspidea, qui incluent la famille Tylodinidae, un ordre des Opisthobranchia. La tylodine jaune a d’ailleurs une spécificité côté branchie : l’organe est unique, en forme de plume et placé du côté droit de l’animal.
Il paraît que la bête a les yeux noirs. Il faut déjà une belle macro sur la tête pour les observer. En principe, on voit une coquille relativement aplatie plus ou moins couverte d’algues. C’est ce qui permet la détection. Car pour le reste, la tylodine aime à se jouer des plongeurs-voyeurs en se colorant exactement comme son aliment quasi-exclusif, l’éponge jaune Aplysina aerophoba. Un article intéressant sur l’origine et la nature des pigments de cet animal est présenté sur la page de la tylodine jaune du sea slug forum (link). Ce pigment ainsi qu’un autre alcaloïde provenant d’une autre espèce d’Aplysina, A. cavernicola, sont stockés dans les tissus de l’animal, y compris avec les œufs. Ce sont vraisemblablement des répulsifs chimiques destinés à jouer le rôle de barrière défensive contre des prédateurs affamés. Ce détournement de substance n’est pas unique puisque certains nudibranches détournent à leur profit le système d’attaque des cnidaires qu’ils dévorent. A la base, les molécules produites par l’éponge pourraient être des antibactériens libérés lors de blessures pour éviter une infection par l’importante diversité microbienne vivant à la surface des différentes parties de l’éponge (qui abrite d’autres microorganismes symbiotiques dans ses tissus).
La tylodine jaune laisse sur l’éponge jaune une marque jaune (sans grand M, mais d’un jaune plus clair). Donc, pour trouver la tylodine, il faut comme toujours chercher ce qu’elle mange, puis éventuellement les blessures et les coquilles plus ou moins recouvertes d’algues. Ce qui n’empêche pas de rencontrer parfois des individus en vadrouille à des dizaines de centimètres, voire des mètres, de tout aliment caoutchouteux en doigts de gant.
Il semble y avoir un débat sur la longévité de la tylodine jaune. Il est proposé qu’elle ne vive qu’une année et que les plus grands individus soient des rescapés de l’hiver. Il est également dit qu’avec l’âge (donc en semaines et mois), la coquille se couvre de plus en plus d’algues.
Je trouve cela un peu perturbant car la corrélation entre l’état de la coquille et la taille de l’individu n’est pas toujours évidente : petits individus à la coquille très colonisée, grands individus à la coquille presque propre et récente avec les rayures brunes bien nettes. Il y a quelque chose de pas clair dans cette histoire d’âge. Je soupçonne une absence de données scientifiques sérieuses (personne n’a dû faire de marquage de tylodine…). Le plus grand individu aurait été aperçu à Cerbère, donc loin de Marseille… Un rescapé de 2 hivers ?
Et cela me conduit à revenir à cette histoire de cycles. De l’hiver à l’automne, nous avons pu observer des individus de toutes tailles sans que ceux de février soient les seuls grands ou que ceux d’octobre soient tous grands. Mais, l’an dernier, la fin de saison a été très riche, exceptionnellement riche en tylodines jaunes. Durant certaines plongées, la fréquence de rencontre et les regroupements sur les éponges donnaient une impression de prolifération en nombre bien plus grand que les autres années. Combien passeront l’hiver ?