Quand on parle des épaves de la Côte Vermeille, les cargos de la seconde guerre mondiale viennent à l’esprit et on a tendance à oublier un petit vapeur d’une cinquantaine de mètres. Vieille épave de la fin du 19è siècle, le Pytheas souffre beaucoup de la proximité immédiate de la falaise contre laquelle il a coulé. Mais le petit fond où il repose le rend accessible à tous les plongeurs et même aux baptêmes qui peuvent la survoler.
Il reste peu de structures. La plus massive et solide est la chaudière.
D’année en année, elle ne semble pas se dégrader. Les animaux refusent toujours de coloniser une étrange partie de la surface.
Vu son état, il est difficile de juger d’une dégradation récente de la poupe très encroûtée.
Il faut passer sous celle-ci et se placer à l’emplacement de l’hélice pour constater à quel point cette poupe prend la lumière de toutes parts.
Les membrures s’étalent jusqu’à la falaise, imposant au paysage une géométrie artificielle tantôt ordonnée, tantôt brouillonne.
Toutes ces tôles, poutres et plaques offrent de multiples logements aux nombreux poulpes. Ramoucho a d’ailleurs proposé de renommer le site « Octopusland ».
Entre 2 gros rochers reposent encore chaînes et ancres. La chaîne est de plus en plus intégrée à son environnement. Les anneaux soudés par la rouille et les concrétions constituent des roches artificielles colonisées.
Quant aux ancres, si l’une est encore bien visible et bien conservée, l’autre disparaît progressivement sous les gros galets brassés les jours de forte mer.
Le Pytheas a atteint un stade de sa vie d’épave où le temps semble ralentir et figer les choses. Peu à peu, les restes du navire s’intègrent à l’environnement. La faune fixée s’est depuis longtemps déjà approprié ce récif artificiel. La poupe dresse encore son flanc tribord vers la surface. Elle sera probablement la prochaine victime des éléments destructeurs. En attendant, les plongeurs de tous niveaux peuvent cette année retrouver cette épave comme ils l’avaient laissée l’an passé.
Poursuivons les observations en allant vers la proue.
A l’avant des tourelles, toujours le long du bastingage, de plus petits supports fixés au pont en 4 points sont encore debout, contrairement aux autres similaires encore visibles sur le château.
Il n’est pas évident de définir leur utilité première. Lances à eau ou artillerie légère ? Le système de fixation au pont me fait plutôt penser à cette seconde idée, d’autant plus que les appareillages identiques au-dessus du château ne semblent pas reliés à de la tuyauterie.
Il ne resterait donc plus que les affûts, un sur chaque bord entre le mât et la proue.
A la proue, la surélévation du canon massif me fait toujours penser à des pattes d’araignée. Sauf que jusqu’à présent, je ne l’ai encore jamais vu bouger…
Le canon est empaqueté sous une bonne couche de restes de filets depuis longtemps accumulés. Je pense même que c’est la pièce d’armement la plus encroûtée de l’épave.
Le canon tient encore, mais son embase semble plus fragile. Passant devant, les visiteurs se trouvent à la proue.
Hormis le filet du canon tombant sur le treuil, la proue est dégagée, laissant accessible les puits de chaînes et une écoutille d’accès au réduit du gaillard avant.
Dernier point de contrôle en contrebas : les ancres.
Toujours à poste dans les écubiers, il paraît peu probable qu’elles bougent tant que les chaînes ne céderont pas.
L’épave gîte sur tribord, mais l’ensemble de la coque semble solide. Les structures du château ne tiendront plus très longtemps et l’Alice Robert finira par ressembler aux autres cargos contemporains de la région...
La question de la restauration est posée pour nombre de monuments historiques, avec des opinions parfois très divergentes. Je n’ai jamais entendu parler de restauration d’épave in situ. Imaginons les possibles améliorations pour la sécurité des visiteurs…
Il faut bien des plongées pour faire le tour de l’Alice Robert. Lorsque la visi est bonne, un survol des structures permet d’avoir une vision générale. Mais difficile de s’attarder en chemin. Prenons donc un peu de temps pour un état des lieux un peu détaillé.
De chaque côté du mât, les tourelles supportant chacune un canon ne vieillissent pas de la même manière.
La tourelle tribord est colonisée par des corynactis jaunes très voyants qui recouvrent l’escalier et, curieusement, presque seulement une des manivelles de réglage.
Le canon est encore porté par son affût. L’ensemble de la pièce d’artillerie est bien encroûté.
Le bout de balisage est fixé à côté de la base d’une manche à air jouxtant le mât, à proximité de la tourelle bâbord. Celle-ci est un peu plus dégradée que sa sœur jumelle du flanc tribord. Le canon, tombé, repose sur la charpente métallique de la plateforme.
Positionnées au ras des bastingages, le cerclage des tourelles ne dépassait pas hors du bateau.
Selon l’humeur des visiteurs, il est possible de passer au-dessus ou en dessous de la tourelle.
Ces 2 ouvrages défensifs ne semblent pas avoir subi de dégradation. Mieux, la tourelle bâbord n’est plus empêtrée dans le grand et lourd filet qui était accroché de là jusqu’à l’angle de la passerelle. Il y a quelques semaines, cette partie de l’épave était libre de toute entrave. Espérons que cela durera…
Plus souvent que les autres épaves de cargos du secteur, l’Alice Robert subit les tiraillements des filets. Les structures saillantes comme autant de points d’accrochage sont nombreuses. Il y a d’abord le mât. Le passé fruitier du navire lui a valu le surnom de Bananier.Souvent, on parle même de lâcher de singes sur le Bananier…
La dernière période de son histoire est plus triste. Le pacifique bateau est devenu bâtiment de guerre. Derrière le château, la tourelle portant le double canon est toujours là.
Les lambeaux de filets de la saison dernière ont disparu, libérant les 2 canons. Seul un morceau de vieux filet est tendu entre le cerclage et le pont.
A proximité de la cassure qui a séparé la poupe du reste du navire, le canon arrière n’a pas bougé. Il est toujours dressé vers la surface.
A la différence de son homologue de proue, seul l’affût de ce canon est emballé par les restes de filets.
Les 2 bossoirs précédant les coursives côté bâbord sont encore en place.
Sous la citerne, la petite pièce d’atelier semble, elle, avoir souffert durant l’hiver : des parties des parois sont tombées et une autre pend dramatiquement.
Plus inquiétant, une partie de la façade avant du château semble s’être effondrée sur elle-même.
Les aménagements militaires seraient-ils plus résistants que la structure du navire ?
A bord de l’Antares, Ramoucho-le-mousse s’active aux amarres tandis que le capitaine tient la barre. Il est 8h30 et le petit groupe a pris place sur le bateau pour un départ vers le grand bleu.
Lentement, l’Antares quitte le ponton et gagne la sortie du port. Ce matin, le capitaine se dit qu’il est un peu moins jeune, mais pas encore un vieux loup de mer. A la limite, l’odeur de vieux poulpe pourrait le laisser croire lorsqu’il exhume son étanche de sa maturation saumâtre au soleil catalan. Pour le moment, il donne quelques consignes pour la plongée à venir.
Le bateau glisse le long de la côte rocheuse sur une mer d’huile et sous un beau ciel bleu. Je me réveille progressivement alors que d’autres sont déjà très concentrés.
Quelque part au large du cap Béar, entre 2 baguettes de pain, une saucisse sèche, un morceau de terrine et 2 gros boudins noirs, le sondeur indique la profondeur cherchée et la gueuse est jetée.
C’est l’avant veille de la fête nationale, jour du passage fatidique d’une décennie à une autre pour le capitaine qui a enfilé son étanche. Il part en premier en compagnie de Jean-Charles dont la sagesse et l’esprit nous interdiront de préciser le nombre de décennies déjà écoulées.
Pas un souffle de vent. Ramoucho-le-second a pris les commandes dans l’attente du retour du capitaine. Deux autres palanquées suivent avant que nous nous mettions à l’eau à notre tour. Je vais descendre en compagnie du pourvoyeur de cochonnailles et de Ramoucho-the-diver.
Le bout se perd dans le bleu. Jusqu’à plus de 20 m, tout est clair.
A 35 m, la pénombre s’installe et Ramoucho-the-wreck-diver me fait signe que jusque-là tout va bien.
A 45 m, Ramoucho-the-deep-diver allume son phare. Il commence à faire sombre dans le secteur…
Cinq mètres plus bas, nous avons du mal à nous voir et je ne comprends pas pourquoi Ramoucho éteint, puis allume, puis finalement éteint son phare : Ramoucho-cats-eyes ? La descente est à peine plus lente dans la soupe. Je dois utiliser le rétro-éclairage de mon ordi. Je pense à ces plongeurs de gravière qui diraient peut-être que c’est toujours comme ça chez eux loin au nord. C’est pas une raison pour que ce soit comme ça ici aussi ! A 60, je fais signe à mes collègues de stopper là. Il y en a un qui est visiblement content et qui s’empresse de remonter à la corde à nœuds à la force des bras. Hummm… Manque de zenitude malgré la dose d’azote que nous venons de nous prendre. On se calme et 10 m plus haut les choses se normalisent. La remontée se fera désormais à vitesse bien contrôlée.
La visi revient et l’eau se réchauffe. Le palier s’écoule lentement.
Ramoucho en profite pour s’exprimer dans sa seconde langue naturelle.
De retour sur le bateau, il livrera d’abord son impression majeure de la plongée : « c’est comme si ma tête était dans un tourbillon ! »
Puis, quelques minutes plus tard, il fera une remarque très intéressante : « le vent est tombé ? » Sauf qu’il n’y a jamais eu de vent ce matin-là…
Que ses fans se rassurent, Ramoucho-le-djeuns va bien. Enfin, il va bien comme d’habitude…
Ce matin-là, c'était simplement une petite expérience qui profite à tous, une occasion plutôt rare de se tester et d'apprendre sur soi-même. Et accessoirement de bien rigoler de nous entre nous. Mais toujours avec sérieux !
Peu de temps plus tard, j’ai quitté le port et ses occupants. Le capitaine a dû fêter son changement de décennie. Gageons qu’il gardera le cap…